Conan le Barbare, dernier héros européen ?


Le personnage créé par Robert E Howard a taillé de son épée, avant même la parution, en 1937, du Hobbit de J.R.R Tolkien la voie à un pan entier de l’heroic fantasy européenne moderne. Le héros souffre depuis longtemps d’une image négative et caricaturale, et ce notamment depuis sa récupération par le jeu de rôle, le jeu vidéo et tant d’autres supports. Si Arnold Schwarzenegger a incarné pour l’éternité un Conan d’anthologie, le film de John Milius de 1982 est paradoxalement tombé dans le domaine dit « alternatif » et geek; ceci pas forcément pour de bonnes raisons. A travers le prisme de la philosophie, de la métaphysique voire de l’escatologie, nous allons donc tenter de brosser le portrait d’un Conan plus complexe qu’il n’y paraît.


Nous avons volontairement écarté Conan le destructeur de Richard Fleischer, sorti en 1986, de notre analyse pour deux raisons. La première est l’évidente moins bonne qualité de l’oeuvre (en dépit du caractère lovecraftien plutôt réussi de Dagoth, interprété par André le Géant). La seconde est la continuité esthétique d’un certain nombre d’éléments entre Conan le barbare et ce film, ce qui aurait été répétitif. Nous avons de même choisi d’écarter le Conan de 2011, réalisé par Marcus Nispel et avec Jason Momoa dans le rôle titre. Il s’agit là d’un parti pris pour le coup purement esthétique.
Interrogeons nous à présent sur le rapport de Conan à la filiation, à la technique, ou encore à la Vérité.

La caverne et l’épée

Nous reviendrons plus loin en détails sur la symbolique de l’épée dans le film. Néanmoins, la scène de la caverne apparaît intéressante à plus d’un titre. A ce moment là du film, le héros est un tout jeune homme, sans but. Il vient d’être libéré et entre dans une grotte, poursuivi par des chiens. Il y trouve alors son épée. Cette scène offre à mon sens au moins trois lectures. La première est évidemment celle de Platon et de son allégorie de la caverne. En effet, Conan, dans ce monde de ténèbres, de magie et de superstitions, est celui qui choisit de sortir de la caverne, s’exposant à la lumière, portant l’épée de la vérité (au tarot, la maison des épées est celle de la vérité et de la lumière).
La deuxième est celle de Nietzsche : la scène illustre en effet à merveille l’aphorisme du philosophe « deviens ce que tu es ». En l’occurrence, Conan devient d’une part libre, brisant ses chaînes, et d’autre part adulte, passant de la nuit au jour entre le début et la fin de la scène.
La troisième est celle des Évangiles que porte Conan sous la forme de son épée. En effet, « la vérité vous rendra libres » annonce le Christ. (Jn 8.32). Et de fait, Conan se libère de ses chaînes sitôt son épée en main, trouvant la lumière (du jour/De la Vérité/du Christ).

L’épée de Conan


La quête initiatique de Conan s’articule autour d’une part autour de la vengeance de la mort de ses parents et de son clan, et d’autre part autour de la quête de l’acier. Sur ce second point, il y a à mon sens plusieurs lectures. L’objet dans lequel s’incarne l’acier dans le film est l’épée. L’épée est tout d’abord d’un point de vue de la symbolique ésotérique le symbole de la vérité, la Maison des Épées étant dans le tarot celle de la vérité, comme évoqué plus haut.


Mais c’est pour Conan, dans un monde cruel, le seul moyen de survie, comme le lui explique son père au début du film. L’épée devient alors une métaphore de l’outil prométhéen, le symbole de la technique qui permet à l’homme de
survivre à un monde brutal et dangereux. Mais cette épée n’est pas sans ambivalence. C’est d’ailleurs Thulsa Doom lui-même qui le dévoile à Conan : l’acier n’est rien comparé au bras qui le forge et le bras qui le manie. La puissance de l’acier, c’est bien celle de la chair. Ainsi, sans s’en rendre compte, Thulsa Doom nous avertit des dangers de l’emballement de la technique et de la machine. Là où l’acier est plus fort que l’homme, là est la folie et l’orgueil (au sens grec d’hybris). C’est sans doute un écho aux conflits du XX ème siècle mais également à la course aux armements d’une guerre froide finissant, à l’époque de la sortie du film. Le tournage a en effet été déplacé de la Yougoslavie à l’Espagne à cause des tensions suite à la mort de Tito.


Dans le combat final, au milieu du cimetière, c’est également l’acier qui lui permet de briser l’épée de
Rexor, précédemment aveuglé par Valéria miraculeusement revenue des morts. On peut volontiers voir une double signification à cette épée : c’est la Vérité (au sens grec et philosophique comme au sens chrétien) qui aveugle et désarme ses ennemis, c’est à dire le mensonge et le sophisme.


Conan, héros chrétien ?


Si l’oeuvre de Howard et son adaptation de 1982 restent pétries d’un fond et d’une esthétique pré- chrétiens et wagnériens (le bûcher de Valéria, par exemple), le film possède un filtre chrétien parfois étonnant; et ce jusque dans le traitement de son personnage principal.
Évoquons premièrement son rapport aux femmes. Si l’on excepte l’esclave de sa jeunesse, la première qu’il rencontre est la sorcière. Celle-ci monnaie ses renseignements contre une nuit de plaisir avec lui : il est tenté, comme le fut saint Antoine le Grand par exemple. Cependant, il la repousse ; faisant sortir l’esprit du « démon ». Le parallèle avec un exorcisme n’est pas trop osé.
La seconde est Valéria, voleuse, donc pécheresse d’un point de vue chrétien. Mais sainte Marie- Madeleine ne l’était-elle pas également? Par ailleurs, Valéria s’amende pour deux motifs : premièrement, elle aime Conan (elle lui dit « toi et moi, on est un couple »). Deuxièmement, elle lui sauve la vie (à deux reprises).
Évoquons ensuite une évidence mais qui mérite d’être soulignée : sa crucifixion. Cette scène, à l’esthétique léchée, mêle références chrétiennes et païennes (le vautour, qui rappelle à nouveau Prométhée). Notons par ailleurs que Conan meurt sur cet « arbre du malheur » alors que des vautours, oiseaux chargés dans la tradition tibétaine d’emmener les âmes au Paradis, tournent au dessus de sa tête.
Évoquons ensuite à nouveau sa quête de vengeance : comme beaucoup de héros de la mythologie européenne, chrétienne ou pré chrétienne, Co- nan est un héros sauromate. Le symbole (et la vraie forme) de Tulsa Doom, n’est-il pas un serpent? Or qui est le Serpent ? Satan. En outre, on notera que c’est après avoir tué le serpent de Thulsa Doom qu’il obtient la double récompense: matérielle et pécuniaire d’une part (le joyau appelé l’oeil du serpent), symbolique d’autre part (l’amour de Valéria). Difficile de ne pas voir voir là encore de parallèle avec les histoires de héros tueurs de dragons, de Siegfried à sainte Marthe.


Conan et ses racines


A un Thulsa Doom apatride, millénaire, sans attaches familiales, sentimentales ou géographiques, le film oppose un Conan enraciné. Si le Cimmérien apparaît comme déraciné (sa famille est décimée, son Dieu est sourd aux prières), son errance aura comme finalité de le réenraciner. En effet, de vagabond et voleur, il devient roi, symbole suprême de l’enracinement, entre Terre et Ciel. Entre les deux, il recevra l’aide des morts (autre symbole de l’enracinement et de la continuité) par l’intermédiaire du sorcier, personnage psychopompe et narrateur de l’histoire de Conan.
A l’opposé, le déraciné Thulsa Doom ne propose à ses adeptes que le déracinement (familial, matériel, géographique et enfin spirituel) selon la formule bien connue de Simone Weil : « Qui est déraciné, déracine ». Le film marque donc la victoire des racines, de la filiation, et ceci pour une raison simple : l’acier vient des racines de la Terre.


Conan le barbare est donc bien davantage qu’un film d’action et d’heroic fantasy, dont le personnage principal serait une montagne de muscles ancien Mister Univers. L’échec retentissant du film de 2011 montre d’ailleurs qu’un acteur plus souple physiquement (et plus proche des écrits de Robert E. Howard) ne donne pas un film de meilleure qualité; surtout pas un film aussi majestueux.
Ce film est bien plus qu’une histoire de vengeance. Il s’agit d’une quête initiatique d’un déraciné, qui forge son propre destin, à la manière d’autres personnages des mythes et légendes européens. Le thème de l’errance, du déracinement et du retour au foyer est ici ce qui prime, à l’image de Lancelot, Enée, ou Ulysse.⧫

Hubert Dubois

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